6.4.12

Les langues parlées à Mayotte

Quand on débarque à Mayotte, on est en France. Passés les cent premiers mètres, le français fait rapidement place dans nos oreilles à une langue très étrange, incompréhensible, que l'on identifie vite aux langues africaines sans en être sûr, à moins d'être un globe-trotter.
On reconnaît quelques mots (taxi, par exemple) mais si on surprend une conversation, ce que l'on comprend, c'est que ça ne va pas être facile!
Et ça ne l'est pas.
Je suis ici depuis un an et demi et je n'arrive à "capter" que quelques mots, et pour arriver à savoir de quoi on parle, il y a heureusement les mots "internationaux", c'est-à-dire ceux que la langue locale a emprunté aux idiomes d'autres pays, un peu transformés comme "téléphoni". "Les Bouénis" confirment:



Jéjé= comment ça va ?
Quand je dis langue locale, c'est inexact: je devrais parler de langues locales.
Mayotte a été peuplée par des tribus bantoues de l'Afrique de l'Est, ou indonésiennes en route vers Madagascar, ou encore arabes du golfe Persique et d'autres navigateurs de diverses origines.
Aujourd'hui, ça donne quoi?
(Voir l'onglet Cartes: sur la dernière sont représentés les dialectes pratiqués village par village).
Si la langue officielle (écoles, administrations, affichages publics...) est le français, les autochtones entre eux parlent leur langue natale. Et là, ça se complique.
S'ils sont nés à Mayotte et comoriens d'origine, ils parlent le shiMaore. Mais il existe des variantes, le plus "pur" étant le shiMaore swafi. Il est proche du bantou. Or, les immigrés récents d'Anjouan utilisent un shiMaore différent, avec des mots n'ayant parfois aucun rapport. Ceux de Ngazidja (Grande Comore), nuancent encore autrement la langue comorienne originelle. Vous suivez? En fait, il existe 4 parlers bantous différents mais avec de fortes ressemblances: le shiMaore de Mayotte, le shiNzuani d'Anjouan, le shiMwali de Mohéli et le shiNgazidja de Grande Comore.
Le shiMaore (Maore est le nom de Mayotte dans cette langue donc shiMaore = langue de Mayotte) est compris et/ou parlé par 80 % de la population d'origine (chez les wasungu, ça doit être dans les 3 % et encore...).
À l'inverse, nombreux sont encore les Mahorais à ne pas maîtriser le français. Sur Mayotte 1ère, radio et télé, les 2 langues cohabitent. Rappel pour ceux qui n'en ont pas vu: journal télévisé
L'autre langue de Mayotte est le shiBushi, que l'on écrit couramment kibushi. Et là, surprise quand on pense que c'est la langue maternelle d'un tiers de la population!
Explication: les "kibushiphones" comprennent et utilisent le shiMaore (pas le choix!) tandis que l'inverse n'est pas vrai.
Le kibushi est plutôt parlé dans les villages de l'Ouest et du Sud de l'île mais pas seulement. Et ils en sont fiers!
C'est une langue d'origine malgache, plus ou moins adaptée à l'île mahoraise, avec deux variantes: le kisakalava et le kiantalautsi.
Ensuite, il existe des langues indiennes, des langues de la région comme le créole réunionnais, l'afrikaans, mais très confidentielles.
Et on se doit aussi d'évoquer la langue arabe puisque les jeunes Mahorais l'apprennent dans les écoles coraniques. D'autant plus que 40 % des mots en shiMaore ont une racine arabe!
Le problème majeur qui taraude les esprits visionnaires de Mayotte est le devenir de ces langues, principalement le shiMaore.
En effet, on a pu le constater en métropole, les langues parlées sont abandonnées peu à peu. Si elles ne sont qu'orales.
Dès lors qu'elles sont écrites, elles survivent! C'est le principal combat des Mahorais actuellement, il faut une écriture officielle du shiMaore. Mais comme les acteurs ne parviennent pas à s'accorder, le problème reste posé.
Une association très active, Shime (SHImaore MEthodique), semble proche de faire prévaloir sa version. L'enjeu, c'est une reconnaissance de la langue et son apprentissage dans le milieu scolaire surtout. Et pour ne plus voir comme dans certaines administrations encore aujourd'hui: "Français obligatoire".
Pourquoi ne pas envisager une option "shiMaore" au bac?
Sans compter que dans le milieu scolaire, on est de plus en plus persuadé que l'apprentissage de la langue maternelle favoriserait celui de la langue française. Là encore, le discours officiel, qui n'en voulait pas, commence à évoluer.

Aucun commentaire: