20.2.14

Le droit pas si commun

La question est toujours d'actualité ici, où des lois "spécial Mayotte" sont en vigueur au moins en matière d'immigration qui cause toujours la mort (7 morts la semaine dernière) des candidats à une vie meilleure en entrant désormais en Europe.
L'hebdomadaire Charlie Hebdo pose aussi la question à la fin de cet article, et l'avenir ne changera pas les choses puisque l'exception mahoraise perdurera alors que la loi évolue dans le reste du pays.
L'exemple décrit ici est malheureusement courant, les élèves confiés à "de la famille" nous le rappellent inexorablement dans nos établissements scolaires, quand ils ne sont pas tout simplement livrés à eux-mêmes et donc condamnés au vol et à la violence.

De Charybde en Sylla, enfant comorien de 14 ans expulsé en toute illégalité de Mayotte      19 Feb 2014

En provenance des Comores, la mère du jeune Sylla* débarque à Mayotte en 2011 avec ses six enfants et dépose une demande d’asile qui lui est accordée. La famille, bénéficiant du statut de réfugié de la mère, s’installe doucement dans sa nouvelle vie.
Mais, dans la nuit du 23 au 24 janvier, Sylla est arrêté par la police. Il a 14 ans, est donc mineur, réside avec sa famille en toute légalité sur l’île, cela ne gêne cependant en rien la police aux frontières (PAF) et la préfecture, qui affirment, sans la moindre preuve ni enquête, que le gamin est majeur et ne bénéficie pas de la protection accordée à sa mère. Décision prise en mouillant le petit doigt, alors que sa mère produit les documents prouvant largement la minorité de son fils… Sylla n’a même pas droit à ces tests osseux tellement décriés et si peu fiables, avec leur marge d’erreur d’au moins dix-huit mois, mais qui auraient été dans l’impossibilité de transformer un môme de 14 ans en un tout jeune homme de 18 ans. Sylla le faux majeur part en rétention avant d’être expulsé, de manière tout à fait illégale, dès le lendemain, 25 janvier, vers l’île que sa famille a fuie. Il y est seul, isolé et en danger. L’intérêt supérieur de l’enfant, le droit au respect de la vie familiale, le droit d’asile même ? Le préfet et la PAF s’en tapent, comme ils savent si bien le faire à Mayotte, ce département français où l’on s’exonère du droit commun, où les Sylla expulsés sont légion.
La mère de Sylla n’en reste pas là. Voulant récupérer son fils, le 28 janvier, elle assigne en référé le préfet de Mayotte devant le tribunal administratif (TA) pour obtenir le retour de l’enfant sous quinze jours. Mais si le TA reconnaît l’illégalité de l’expulsion et les atteintes aux droits fondamentaux du garçon, il se contente de contraindre le préfet à… demander au consulat de France aux Comores d’accorder « dès que possible » une autorisation de retour à Sylla ! Curieuse justice mahoraise, qui laisse au préfet le bénéfice d’un temps dont il a la seule maîtrise alors qu’un enfant est en danger et à un consulat la possibilité de délivrer une autorisation de retour à un enfant qui n’aurait jamais dû quitter Mayotte ! Étrange mélange des genres, entre administration policière et justice… En métropole, une telle décision serait impensable. Les décisions des tribunaux administratifs, lorsqu’ils se prononcent en faveur d’un expulsé, contraignent les préfets à organiser son retour sans délai. 
La mère de Sylla, soutenue par la Cimade et le Gisti, continue son combat pour retrouver son fils : elle fait appel de la décision du TA devant le Conseil d’État, afin que l’enfant puisse rentrer « dans les plus brefs délais ».
L’histoire de Sylla est hélas représentative de ce que vivent les migrants à Mayotte, département français depuis le 1er avril 2011 et où devrait s’appliquer le principe d’identité législative. Seulement, ici, on vit, notamment en ce qui concerne le droit des étrangers, sous le principe de dérogations pour s’adapter… aux « spécificités » de l’île. Plus encore, depuis le 1er janvier dernier, Mayotte est devenue une région ultrapériphérique de l’Union européenne et, à ce titre, doit appliquer de manière pleine et entière la législation européenne, la Commission européenne n’ayant accordé aucune dérogation à la transposition des directives relatives à l’immigration et à l’asile. Pourtant, cela ne semble poser aucun problème au représentant de l’État sur l’île de s’en abstraire.
Et ce n’est certes pas ce que prépare Manuel Valls pour mettre l’« île aux parfums » en conformité avec la loi de l’UE qui va changer les choses ! En effet, si le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) s’appliquera prochainement à Mayotte, le ministre de l’Intérieur y fera figurer par ordonnance des mesures dérogatoires. Si elles sont adoptées, celles-ci s’abstrairont une nouvelle fois du droit commun, mais surtout continueront à violer les droits fondamentaux des migrants et à les priver des quelques droits dont ils bénéficient en métropole. Qu’on en juge plutôt : absence de recours suspensif lors d’une décision d’expulsion, absence du bénéfice du délai d’un jour franc en cas de refus d’entrée, titre de séjour valable uniquement à Mayotte et non en métropole, délivrance d’une carte de séjour temporaire à un jeune arrivé sur l’île à 13 ans ou avant, expulsable sous réserve qu’il vive avec un parent régularisé, délivrance d’une carte de résident au parent d’un enfant français ou au conjoint d’un ressortissant français au bout de trois ans, sous réserve de son intention de s’établir durablement en France, notamment au regard de son activité professionnelle s’il ou elle en a une et de ses moyens d’existence, aide au retour en cas d’obligation de quitter le territoire réservée aux personnes accompagnées d’un ou de plusieurs enfants, etc. 
Cerise sur le gâteau, ces dérogations concernent le plus souvent les mineurs et les jeunes majeurs. En ce qui concerne le droit au séjour, c’est en effet un objectif affirmé par le rapport remis au président de la République : elles « découlent de la volonté de ne pas accroître l’attractivité de Mayotte pour les candidats à l’immigration irrégulière, notamment pour les parents qui envoient leurs enfants à Mayotte, où ils vivent dans des conditions extrêmement précaires : en effet, le conseil général n’a pas les moyens de financer un dispositif d’aide sociale à l’enfance (ASE) suffisant. » Et l’aide au retour de personnes accompagnées de leurs enfants est « destinée à favoriser le retour des mineurs vivant à Mayotte en situation de grande précarité ». 
Autant de mesures en violation des droits fondamentaux des enfants mineurs et de la protection dont ils sont censés bénéficier. Il y aura donc dans les mois et les années à venir de plus en plus de Sylla qui effectueront malgré eux le voyage vers les Comores. Et de moins en moins de mineurs qui bénéficieront à Mayotte de l’ASE. Mayotte, département bananier d’une République en perte de valeurs ? 

* Prénom d’emprunt.
Article paru dans Charlie Hebdo n°1130 du 12 février 2014

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