27.9.12

Les Routes du Crime: Mayotte

Paru dans le Nouvel Obs, annonçant une émission ce soir: “Investigations” à 20h45 sur France Ô.

En préférant l’indépendance, les Comoriens croyaient avoir fait le bon choix. C’était en 1974. Comme ils le regrettent depuis ! Par dizaines de milliers ils entrent aujourd’hui clandestinement sur l’île voisine de Mayotte, dont les habitants ont, eux, voté pour leur maintien au sein de la République française. Considérée autrefois comme l’île la plus arriérée de l’archipel des Comores, Mayotte est devenue un eldorado. En 2011, elle obtient le statut de département d’outre-mer (DOM) à égalité avec La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Ses habitants ont droit aux avantages qu’offre l’État français à ses ressortissants, tels la Sécurité sociale et l’indemnisation du chômage.
Entre-temps, les Comores ont dégringolé à la 134e place des pays les plus pauvres. Le salaire de base est huit fois plus bas qu’à Mayotte. Du coup, ce petit bout de France de 200 000 habitants attire entre 60 000 et 100 000 immigrés comoriens chaque année. Un véritable casse-tête pour les autorités policières qui passent leur temps à renvoyer chez eux des hommes, des femmes et des enfants, qui reviennent dès que la somme nécessaire à leur voyage a pu être réunie. Résultat : une personne sur cinq vit, ici, sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage frôle les 27 %, deux fois plus qu’en métropole.
La mort, en mer, de 6 personnes le 8 septembre dernier, près de Mayotte, à la suite d’un naufrage qui a fait 27 disparus, illustre cruellement les risques que prennent les Comoriens pour espérer une vie meilleure. Des trois îles de l’Union des Comores, Anjouan, à 70 kilomètres, est la plus proche de Mayotte. Chaque nuit, des dizaines de kwassa-kwassa, ou barques de pêcheurs, s’en échappent. A bord de ces esquifs sans GPS ni équipements de sécurité, entre 35 et 45 personnes qui ont payé de 200 à 300 euros leur passage. « C’est un très très très gros business », dit un douanier ! Trusté par une mafia. La mafia des kwassa-kwassa. A la base, de modestes fabricants comoriens de barques en bois devenus de florissants entrepreneurs capables de corrompre des fonctionnaires, voire des élus locaux, pour perpétrer leur trafic d’êtres humains.
En 2011, 150 clandestins ont perdu la vie dans les eaux du golfe des Comores. Cet afflux d’immigrés sans qualifications bouleverse le fragile équilibre de Mayotte. Ils seraient 10 000 à travailler illégalement sur l’île. Et 80 %, pour les hommes, dans le BTP. La brigade anticriminalité (BAC) traque les employeurs qui utilisent des ouvriers sans titre de séjour. Ces derniers encourent cinq ans de prison. Mais à ce jeu du chat et de la souris, c’est souvent la souris qui gagne. Dès que la police arrive, les clandestins s’éparpillent dans la nature. Ceux qui sont rattrapés vont en centre de rétention en attendant leur expulsion.
Les femmes n’ont, elles, souvent pas d’autre alternative que la prostitution. De nombreuses mineures traînent la nuit dans les discothèques. « Parce qu’elles sont en grande détresse ou qu’elles ont tout simplement besoin d’une paire de chaussures », explique Nathalie Compan, vice-procureur du tribunal de Mamoudzou, le chef-lieu du département. Leur idéal à toutes étant de devenir « soussou », soit la maîtresse d’un Mahorais, et de, peut-être, réussir ainsi à se faire épouser en vue d’obtenir la nationalité française. Quant aux enfants des clandestins, près de 6 000 d’entre eux seraient abandonnés à leur sort parce que leurs parents ont été renvoyés aux Comores.
À Kawéni, un village adossé à une montagne et situé non loin de Mamoudzou, des dizaines de petits, dont l’Etat ne sait que faire, fouillent la décharge pour trouver de quoi manger. Sur les hauteurs, les enfants abandonnés se sont regroupés dans un bidonville. Parfois, ils sont 5 ou 6 frères et soeurs. Les plus âgés s’occupent des plus petits. Les rares associations humanitaires présentes sur l’île leur distribuent de la nourriture. Forcément, dans ce contexte, la délinquance ne cesse de monter avec un phénomène accru de violences, de bagarres entre bandes, de vols aggravés, d’effractions commises sous l’emprise de l’alcool. La drogue des Mahorais.
«C’est difficile, poursuit Nathalie Compan, parce que nous n’avons pas, à Mayotte, de centre éducatif. Donc les réponses alternatives qu'on peut donner à l’incarcération sont très limitées. Trop limitées. » Obtenir d’être régularisé étant quasiment impossible, certains tentent d’atteindre par avion La Réunion, ou mieux encore la métropole, où ils auraient dix fois plus de chances de décrocher un titre de séjour. A l’aéroport international de Dzaoudzi, la police des frontières vérifie scrupuleusement les papiers d’identité. Durant ces six derniers mois, une trentaine de personnes ont été interpellées en possession de faux documents.
Sylvie Véran

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